Bernard Corneau et la baisse des cours de bourse des sociétés midcap, Article paru dans Les Echos le 9 juin 2008
Un entrepreneur nous disait récemment : « je ne regarde même plus mon cours de bourse ». Il est vrai que certaines sociétés, en particulier celle qu’on appelle les « mid-caps » ou capitalisations moyennes ont dernièrement vu leur cours de bourse plonger de -25 à -40%. Pour autant, aucune annonce de baisse de résultats ne parait justifier une telle chute. Parfois même au contraire les résultats annoncés sont conformes voir au-dessus des anticipations.
Il me semble essentiel pour nous banquiers de bien expliquer le comportement des marchés afin d’éviter qu’apparaisse un fossé entre les entreprises et la bourse. Les variations de cours de Bourse auxquelles on assiste donnent le vertige. Cette volatilité extraordinaire ne semble reposer sur aucune cause rationnelle. La Bourse est nerveuse, obnubilée par le court terme. Est elle véritablement un arbitre entre les entrepreneurs et les apporteurs de capitaux ? Et comment restaurer le lien fort entre les entrepreneurs et la bourse ?
Volatilité
Interrogeons-nous tout d’abord sur l’origine de la volatilité. Le marché de l’argent ne connait plus de frontières. Acheter et vendre sur les marchés est devenu simple, peu cher, instantané. Une bonne partie des milliards qui s’investissent en bourse dans le monde vient de l’argent des ménages américains ou européens qui épargnent pour leur retraite. Ils confient leur argent aux fameux fonds de pension. Qu’attendent ces ménages de leurs gérants de fonds ? De quoi faire fructifier leurs économies au maximum pour avoir une retraite décente. L’enjeu est d’autant plus vital qu’ils n’ont pas la couverture sociale des français. Les fonds de pension ont élargi leur horizon d’investissement et diversifié leurs actifs : ils sont présents dans le monde entier. Nouveaux venus dans le monde de la bourse, les fonds souverains sont récemment devenus des acteurs de poids. Leur taille (€2 000 milliards, soit le PIB de la France) alimente tous les fantasmes. Leur capital provient des revenus du pétrole (Norvège, pays du Golfe), ou des excédents commerciaux accumulés (Chine). Ils investissaient traditionnellement dans des titres d’état sans risque. Ils interviennent maintenant sur les marchés boursiers du monde entier, à la recherche d’opportunités de rendement élevés.
Autre acteur majeur des marchés, les « Hedge funds ». Comment fonctionnent-ils ? Il s’agit de fonds, détenus par de grands investisseurs institutionnels. Les équipes dirigeantes de ces « hedge funds » choisissent ensuite un style de gestion et cherchent à exploiter toutes les opportunités de marché. Par exemple, elles identifient des actions sur évaluées et elles les vendent à terme. Et achètent des actions sous évaluées. Elles recourent massivement à l’endettement pour financer leurs acquisitions. Leur marge de manœuvre est immense avec un cumul d’actifs sous gestion à fin 2007 de €1 200 milliards dans le monde, que l’on peut multiplier par trois ou quatre avec l’endettement et l’effet de levier.
Sous l’influence d’informations diverses qui agitent régulièrement le « village planétaire », ces grands investisseurs déclenchent épisodiquement des « raz de marée » boursiers.
En France, depuis quelques années, la nature de l’actionnariat des sociétés cotées à changé. Les investisseurs étrangers détiennent entre 30 et 50% de la capitalisation française. On peut s’en féliciter, souligner l’effort remarquable d’ouverture de la Bourse et le coté attrayant de nos entreprises…En contrepartie, nous avons importé la volatilité et le mode de raisonnement des Anglo-Saxons. Nous ne maitrisons plus notre marché boursier. Le pouvoir actionnarial a basculé entre des mains anonymes qui s’érigent en juge suprême de la stratégie et de la valeur des entreprises. Les dirigeants peuvent se sentir manipulés et incompris : leurs décisions engagent l’avenir de l’entreprise à trois ou cinq ans ; ils se trouvent face à des actionnaires qui leur semblent raisonner uniquement à court terme, de manière déconnectée de la valeur intrinsèque de l’entreprise.
Pour un financier, des variations de 30% sont gérables, et même une source d’enrichissement. En revanche, l’onde boursière est démultipliée quand elle arrive au niveau de l’entreprise et peut déclencher des OPA, le « débarquement » brutal du management, etc. Bref une remise en cause radicale de l’entreprise.
Examinons la manière optimale d’utiliser la Bourse pour les entreprises. En période de bonne tenue boursière, la Bourse joue parfaitement son rôle de pompe à finance pour les entreprises. Alternext a accueilli plus de 60 sociétés en 2006 récoltant 523 M€. Malgré un 1er semestre très prometteur, le cru 2007 s'achève en repli avec seulement 41 entrées sur le marché pour 450 M€ levés. Les investisseurs avaient des liquidités disponibles, de l’appétit pour des valeurs, même de petite taille, et regardaient avec intérêt des business plan ambitieux. Les entreprises qui ont pu lever des capitaux pendant cette période sont aujourd’hui riches de cash et prêtes à saisir des opportunités. Depuis fin 2007, et pour une durée encore indéterminée, les marchés actions se sont affolés. Des investisseurs ont retiré leurs capitaux, entrainant des baisses exagérées sans rapport avec la solidité des entreprises. Les entrepreneurs ne peuvent plus se tourner vers les marchés financiers pour lever de nouveaux capitaux. En revanche, c’est le moment idéal pour racheter des concurrents affaiblis. Prenant exemple de JP Morgan Chase rachetant à prix cassé Bear Stearns, les entrepreneurs devraient multiplier ce type d’opération opportuniste. C’est aussi le moment de racheter sa propre entreprise : puisque chacun est persuadé que la Bourse est injuste, renforcer sa participation dans sa propre entreprise est probablement le meilleur placement possible en ce moment.
Prise de conscience.
Chaque crise financière, 1998, 2001, 2007, nous le rappelle inlassablement. Le pouvoir financier n’est plus à Paris, notre place est secondaire par rapport aux grands marchés mondiaux, et souffre plus en période de crise que les marchés anglo-saxons: elle plonge plus profondément et rebondit moins vite, tel un navire trop lesté. Pour limiter des effets, les entreprises et l’ensemble des décideurs doivent continuer à militer pour la création de fonds de pension en France qui stabiliserait les marchés, et pour qu’une forte portion de l’épargne s’oriente vers les marchés actions. Nos « politiques » doivent agir rapidement dans la perspective d’une mise à niveau des marchés financiers entre l’Europe et le reste du monde.
Bernard Corneau Directeur Banque Privée Credit Suisse dans Les Echos du 9 juin 2008
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